« Nous verrons l’imagination construire des
murs avec des ombres impalpables, se réconforter avec des illusions de protections, où
inversement trembler derrière des murs épais, douter des plus solides remparts. »
Bachelard
Epaisseur – lumière –
géométrie – dialogue – filtre – vibration – équilibre – peau – profondeur –
couches – stabilité – mouvement – vertige
La réflexion s’articule autour d’un
questionnement sur l’espace habité. Comment habiter la grande hauteur? Et particulièrement
dans le site qui a déjà été dépeint
comme porteur d’un certain chaos ou les différentes zones qui
s’articulent avec difficulté renvoient a une certaine brutalité, empreinte
d’une instabilité ambiante.
Habiter
ici, c’est habiter en admettant le chahut ambiant tout en restant protégé.
Cette
question, transposée à la thématique de la grande hauteur, appelle des procédés
qui questionnaient déjà la position de l’homme dans son espace habité et de sa place
dans le monde.
Aldo Van Eyck, notamment,
s’était déjà penché sur la manière d’habiter pour l‘orphelin et les
significations mentales que cela implique. Notamment pour l’orphelinat
d’Amsterdam ou il re-questionne la place de l’enfant dans son espace habité. Il
placera alors l’enfant au centre d’une forme pure, par un cercle marqué au sol,
cette forme étant elle-même décentrée dans un espace plus globale, comme pour
admettre et relativiser la centralité de l’être, non pas pour diminuer sa
valeur au monde, mais plutôt pour accentuer l’idée que c’est dans ce
décentrement que l’unité stable est retrouvé. Il y a une prise de conscience
indirecte pour l’enfant qui est alors au centre de son monde, dans le cercle,
tout en admettant de ne pas être au centre de l’univers, dans l’espace.
Il y a différentes échelles de
composition qui ont des sens très fort lorsqu’elles se rapprochent des
questions autour de notre position dans le monde. Qu’est-ce qu’habiter la
grande hauteur si ce n’est s’élever, dominer, surplomber, observer. Tout le
prestige a priori qui est associé à cette idée de vivre en hauteur est à
relativiser dès lors que l’habitant se souvient qu’il est désormais à son tour
orphelin, du ciel et de la terre.
Dans l’intention de réparer,
guérir, le tissu sans remettre en cause fondamentalement l’existant, la tour
qui est proposée se présente comme un remède qui passe par la question
d’habiter. La réponse qui est donnée ici est de s’élever modestement en
établissant une porosité verticale pour garantir le lien au sol. Sur une base
carrée de 30 m par 30 m, elle se divise en trois éléments qui se combinent pour
s’élever.
Une bande pour filtrer la
lumière, elle tend le bras à l’espace du dessous. Un carré stable ; forme pure
et décentrée qui abrite sur plusieurs niveaux, il tend le bras au-dessus, et
enfin une portion de vide qui amène l’air, la lumière et la vue.
Cet
effet d’empilement se présente sous forme d’un mouvement des espaces habités
qui se déploient et tournent autour d’un axe central, ils sont canalisés par la peau qui maitrise le
mouvement globale. La peau sera composée de différentes matières capables de
rendre compte de différentes volontés de s’ouvrir au monde extérieur.
Les
différentes intensités de lumière que la composition permet, renvoient à une
vibration horizontale omniprésente qui s’accroche aux mouvements des plateaux
qui supportent la vie.
Vivre
dans l’épaisseur de la lumière implique que l’extérieur n’est pas imposé. Il
est d’abord un air, une lumière et enfin une vue. Les trois éléments sont
dissociés. Mais il faut noter que le noir absolu rend instable et que
l’illumination absolue rend également instable. C’est pourquoi les espaces
seront nuancés, illuminés suivant différents filtres.
Dans les zones habitées, et
parmi les filtres, il y a l’existence d’éléments qui font écrans opaques, ainsi
pour s’ouvrir sur l’extérieur, il faut décider de pousser une portion de mur.
La présence de cet élément permet de prendre la mesure de la distance vis-à-vis
de la grande échelle de la ville, cadrer un extérieur à méditer et relativiser
notre rapport au monde en se donnant la possibilité de s’y soustraire pour se
retrouver.
Dans cet équilibre instable, la
première impulsion de la vibration qui appelle à s’élever est rendue lisible
par la présence d’un bassin d’eau qui fait miroiter sa lumière à l’entrée. Sa
dimension permet aux habitants, au sol, de toujours prendre du recul pour mieux
apprécier la tour stable et le mouvement qu’elle contient.
À l’image
de l’orphelin qui devait comprendre que partout où la vie semblait le
décentrer, il n’en restait pas moins au centre de son propre univers.
L’habitant de la grande hauteur est amené à saisir que partout où le monde peut
lui sembler instable, à l’échelle de la ville, de la tour, ou même du logement,
il sera en mesure de retrouver, avec des degrés différents d’ouverture sur
l’extérieur, une stabilité intérieure. La particularité même de cette
proposition renvoie à l’idée qu’au-delà du vertige de la grande hauteur, il
existe un autre vertige qui relativise notre rapport au monde et à l’univers.